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Transcription sur le "REGISTRE des ÉVÉNEMENTS" de la Brigade de Prats de Mollo le 24 Avril 1939.
Résumé de l'exode Espagnol
La révolution espagnole (1936-1939) qui se termina par la fuite vers la France des armées républicaines de la catalogne, marqua profondément dans la vie de la brigade et des habitants de Prats-de-Mollo. Aussi, cet événement, se doit par son importance, d'être fixé sur ce document. Il n'a pu être dressé une statistique exacte du nombre de fuyards (civils et militaires), ayant transité par le secteur de Prats-de-Mollo; il a été estimé toutefois que 80.000 à 100.000 personnes y avaient pénétré (certains prétendent que ce chiffre est en dessous de la vérité), amenant environ 10.000 ovins et 7.500 équidés. Le 27 Janvier 1939 à 4 heures, le brigadier M... et l'agent spécialisé B..., arrêtent trois hommes qui se laissent volontiers appréhender. Interrogés, les inconnus se disent miliciens de l'armée Républicaine espagnole. Ils sont porteurs de trois grenades et d'un révolver. Ayant franchi la frontière, en haute montagne, recouverte de neige, ils sont transis. Restaurés et réchauffés ils racontent que le front de l'Èbre est rompu et que les troupes gouvernementales fuient en pleine déroute vers la france. Ils annoncent que l'arrivée des fuyards est imminente. On peut situer à l'arrivée nocturne de ces trois déserteurs le début de l'exode, qui devait se prolonger pendant quinze jours. Le même jour à huit heures, la population Pratéenne voit avec stupeur déboucher sur les hauteurs de sainte Marguerite, une file ininterrompue de gens, qui de dirigent vers le village. L'itinéraire est le sentier qui du col d'ares conduit à Prats-de-Mollo, par sainte Marguerite, le col de l'aspinasse et les trois chênes boixeda. Le brigadier se porte à leur rencontre. Les préposés Ll... et S... de service en vue de ces parages se joignent à lui. Au même moment au lieu dit "Le Gailliné" un Lieutenant de la garde Mobile Républicaine et trois ou quatre gardes, faisant partie d'un demi peloton en détachement à Prats, les rejoignent. Il est convenu que les deux services coopéreront ensemble à la visite, qui s'effectuera légèrement en arrière du point précité au lieu dit "croix de la Mission", point situé à proximité de la ferme du Cendreu. La garde Mobile récupèrera les armes, la Douane les marchandises. Vers onze heures, arrive un premier groupe de carabiniers et de gardes d'assaut équipés et armés. A partir de ce moment, le flot ne tarit plus. Les premiers fuyards sont en majeure partie des gardes d'assaut. Le service de visite fonctionne en permanence en avant du pont d'Espagne. Aussitôt désarmés, les réfugiés sont dirigés vers la cour de l'école de Prats. 28 Janvier Le mouvement s'accentue. La cour de l'école est débordée. Les arrivants sont concentrés au camp de vacances près de l'usine Grau (?). Un second courant se dessine. Des réfugiés civils arrivent par La Preste, Col prégon et col siern. En raison du faible effectif de notre brigade, seule la garde Mobile, qui sera renforcée, contrôlera ce courant d'infiltration. Des familles entières apparaissent et avec elles les premiers animaux (ânes, mulets, etc...) qui sont immédiatement mis à l'attache au foirail. Le capitaine de la garde Mobile fait appel à la Douane pour contribuer au maintien de l'ordre, de concert avec la Gendarmerie. On apprend qu'au Col d'ares un Lieutenant de carabiniers avec quelques subordonnés tente de refouler tous les hommes de moins de cinquante ans. Mais il ne tarde pas à être débordé et la masse humaine défile sans distinction. La population de Prats, dès le 27, improvise un ravitaillement bénévole, pendant que la municipalité réquisitionne des denrées alimentaires pour les réfugiés et du foin pour les animaux. Cette dernière, avec l'autorisation de la douane décide de faire abattre quelques solipèdes, amenés par les réfugiés, pour subvenir à leur nourriture. 29 Janvier Il pleut. Femmes et enfants arrivent dans un état pitoyable. Des voitures particulières se portent à la rencontre des réfugiés par la nouvelle route en construction tandis que les autos-cars et les camions automobiles sont réquisitionnés pour le transport des vieillards, femmes et enfants vers Le Boulou, lieu de concentration. Les hommes valides sont logés au Fort Lagarde. Le moindre abri est bondé de gens. 1° Février Une compagnie de sénégalais arrive pour assurer le service d'ordre. Elle sera par la suite relevée par des troupes métropolitaines, les réfugiés manifestant un vif mécontentement d'être surveillés par des gens de couleur. L'ampleur de l'exode ne fait que s'accentuer. Bien qu'aucun chemin carrossable ne traverse la frontière, on note avec étonnement l'arrivée par le Col d'ares, d'une charrette à deux roues, chargée, attelée de trois mules, ainsi que d'un cul-de-jatte, monté sur un mulet. 2 Février Pas de changement dans le rythme des arrivées. Le sous-brigadier A... est blessé à l'oeil droit par un coup de pied d'un mulet abandonné, en procédant à l'attache d'une de ces bêtes. 3 et 4 Février Situation inchangée. Malgré le service ininterrompu d'évacuation par cars et camions, tout l'hinterland (*) de Prats est engorgé. 5 Février Arrivée de trois compagnies du 126° Régiment d'Infanterie de Brive sous le commandement du chef de Bataillon F... et des Capitaines V... et R... Mission éventuelle: défendre la frontière contre toute incursion franquiste (armée du Général franco). Deux douaniers sont mis à leur disposition pour la reconnaissance du terrain et des positions à occuper. 6 Février sans changement. Une unité du Génie de l'armée Républicaine espagnole, travaille sur le territoire Français, au tracé d'un chemin carrossable, afin de relier la route espagnole qui arrive à la frontière, à celle qui est en construction sur le versant français, pour permettre l'entrée en France des véhicules de toute sorte qui font route vers la frontière; tandis que l'évacuation des grands blessés de l'hôpital militaire de Camprodhon se fait à dos d'homme et de mulet depuis le Col d'ares à la ferme du cortal de can moulins. De ce dernier point, ils étaient dirigés en automobile sur l'hôpital improvisé du camp de vacances situé près de l'usine Guiu (?). Nombreux sont ceux qui décèdent à leur arrivée à Prats. Les autorités Françaises, un commandant de la garde Mobile, chef de secteur, s'oppose à l'élargissement du chemin par le génie espagnol. 7 Février Le mouvement s'amplifie - à partir de ce moment, l'armée en déroute se joint à la masse des fuyards civils qui diminue. Soldats et troupeaux de toutes sortes affluent sur toute la zône frontière. Les deux points d'accès principaux sont toujours le Col d'ares et Col prégon; mais l'infiltration est générale. Le parc du foirail ne peut plus recevoir aucune bête. En accord avec M. le maire, qui réquisitionne le terrain, la Douane organise un parc au pré deltrull, près de la ferme de can bachigues. Mille deux cents équidés environ y sont vite concentrés. Malheureusement le fourrage manque et les animaux affamés depuis quelque temps déjà, sont difficilement maintenus dans les zônes incultes. Malgré tout, les agents font des prodiges et réussissent à éviter les dépradations, tout en rassemblant le bétail qui ne cesse d'arriver. 8 Février Douze mille miliciens sont parqués au pré de la ferme du Condrou et deux jours après vingt cinq mille sont parqués au pré de la ferme de saint Martin. Immédiatement les pommiers sont abattus pour entretenir les feux. Ce combustible épuisé, les miliciens attaquent les châtaigneraies avoisinantes. la région environnant Prats est constellée de foyers car en plus des deux parcs précités, une foule énorme est éparpillée dans la montagne, en attendant son évacuation vers l'intérieur. 10 et 13 Février Les troupes du Général Franco acculent sur notre territoire le gros des troupes gouvernementales, qui protégeaient la retraite des fuyards. Le 13 février à 14 heures, un détachement de l'armée rebelle arrive à la frontière et est reçu au Col d'ares par deux gardes-Mobiles. Après avoir pris contact et reconnu la ligne frontière, il repart en direction de Mollo. Vers 16 H, le même jour, j'ai accompagné MM. le Directeur et l'Inspecteur Principal jusqu'au col d'Ares. Le spectacle est impressionnant; la partie de montagne séparant le village de Prats à la frontière, est peuplée de miliciens qui ne peuvent être reçus à cette localité, depuis longtemps engorgée. Ils s'organisent dans des huttes, se nourrissant du bétail et de quelques provisions qu'ils avaient amenées. Un nombre impressionnant de bétail de toute espèce, erre en liberté. Une multitude d'armes et de munitions de toute sorte, jonchent le sol. La plupart sont brisées et les crosses de fusil sont utilisées pour alimenter les feux. Au Col d'ares, douze auto mitrailleuses ont réussi à s'engager sur notre territoire par le tracé qui avait été construit par les espagnols et interrompu par ordre des autorités Françaises. Ces véhicules ont été par la suite récupérés par l'armée Française. Au delà de la frontière et jusqu'à la borne, sur la route de Campredhon et le ravin qui la longe, on aperçoit un chaos formé par des milliers de véhicules automobiles, détruits par les troupes en retraite. A partir du 14 Février, l'autorité militaire, devant l'ampleur du mouvement, s'est chargé de la récupération du bétail, dégageant ainsi notre service d'une charge écrasante. Dans la nuit du 24 au 25 Février, car Prats ne fut totalement évacué que le 16 mars, brusque changement de température. Contre la pluie glacée et la neige, les miliciens n'ont pas d'abri suffisant. A deux heures du matin ils débordent le service d'ordre et se dispersent dans le village. La population accueille les malheureux et en loge environ six mille. Les trois églises sont ouvertes par M. le Curé. Ravitaillement Jusqu'au 18 Février le service de ravitaillement fut assuré par la municipalité sous les directives de la Préfecture. A partir de cette date ce service passa sous le contrôle de l'Intendance. Dès les premiers jours de l'exode la population pratéenne collabora bénévolement en fournissant des boissons chaudes et en participant à la préparation de la cuisine. Les oeuvres suivantes: Front populaire, secours catholique, société de secours aux prisonniers, secours international aux réfugiés espagnols, firent parvenir des secours en nature. Malgré le désordre inévitable des premiers jours de l'exode, le problème de l'alimentation fût convenablement résolu grâce aux mesures prises par la municipalité. Intervention du service Du 27 Janvier au 16 février il ne fut accordé au personnel de la brigade qu'un seul repos hebdomadaire. La moyenne journalière durant cette période fut de 9 H 7. Certains agents effectuèrent des services prolongés pour lesquels ils ne demandèrent aucune indemnité. A signaler tout particulièrement qu'il n'y eut à enregistrer la moindre récrimination de la part du personnel. Celui-ci s'est voué avec la plus élogieuse conscience professionnelle au travail le plus pénible et parfois le plus rebutant. Outre le travail de récupération des animaux, il fallait pourvoir à leur entretien "corvées de fourrage et d'abreuvoir" et assurer leur surveillance. Il y a lieu de noter à ce propos que les agents soucieux du prestige de l'Administration Française en général et de celle de la Douane en particulier, avaient tenu en pareille circonstances à revêtir une bonne tenue. Celle-ci fut gravement endommagée au cours des diverses manipulations auxquelles donnèrent lieu l'entretien du bétail. Jusqu'au 14 février, date à laquelle l'autorité Militaire se chargea de la récupération des bestiaux, les animaux non parqués avaient été contenus sur les devants de Prats, région de la Forge et en bordure du chemin légal. Jusqu'à cette date les dégâts occasionnés par les bêtes furent insignifiants grâce à ces mesures d'utilisation de terrains vagues. La brigade occupée à la récupération et à l'entretien du bétail ne put visiter qu'une faible partie des réfugiés. Ne disposant d'aucun moyen rapide de transport ni du droit de réquisition, au même titre que les autres services, il s'ensuivit que presque aucune visite ne fut effectuée par la Douane sur les réfugiés arrivant par le Col prégon et la région de la Preste. La visite de la grande majorité des réfugiés fut faite par la garde Mobile, laquelle ne fit d'ailleurs aucun dépôt de marchandises au bureau des Douanes. Tandis que le service douanier récupéra, en plus des animaux: 20 machines à écrire, 14 bicyclettes, 29 motos, 5 postes TSF, 2 phonographes avec 57 disques, deux sacs films cinématographiques, 4 jumelles ainsi qu'une grande partie d'objets divers (tabac, coupons d'étoffe, etc...). Enfin, pour conclure, il y a lieu de noter que ce rapport ne peut donner une idée exacte de l'ampleur de ce fait historique et du surmenage auquel le personnel de la brigade fut astreint. Prats-de-Mollo le 24 Avril 1939, Le Lieutenant signé illisible.
Vu le 20 Mai 1939 Le Capitaine signé illisible. (*) hinterland n. m. • mot all., de hinter « derrière » et Land « pays » •Dr., géogr. Arrière-pays. L'hinterland d'un grand port. |
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