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Transcription sur le "REGISTRE des ÉVÉNEMENTS" de la Brigade de Cerbère le 10 Avril 1939.
Action de la brigade de Cerbère au cours de l'exode provoqué par les événements d'Espagne.
Les événements d'Espagne ont eu comme conclusion la ruée en masse vers notre territoire d'un flot humain qui a submergé la zone frontière. Les journées angoissantes vécues au cours de l'exode ont permis d'apprécier la valeur professionnelle des agents de la brigade de Cerbère ainsi que leurs qualités de coeur et leurs sentiments de fraternité humaine. 1°) l'exode a commencé le 28 Janvier 1939. Dès les premières heures, une population affolée s'est présentée à l'entrée du tunnel international et au poste de Cerbère-route au Col des balitres. Les effectifs de garde ont été doublés et souvent triplés. 35.000 personnes comprenant en grande partie des enfants, des femmes, des vieillards, ont été canalisées vers les services d'hébergement de la gare de Cerbère. Certains convois comprenant surtout des enfants et des malades ont même été escortés jusqu'à Perpignan par route. La mer a également amené des réfugiés fuyant leur patrie sur de frêles embarcations. De jour comme de nuit, des patrouilles ont reconnu la penthière (*) maritime, ont recueilli les fuyards et les ont dirigés sur les services installés à la gare. Les embarcations ont été mises en lieu sûr. L'action du service s'est constamment déroulée en complète collaboration avec les effectifs de la police et de l'armée. 2°) Dès le 7 Février, les éléments de l'armée de Catalogne ont franchi la frontière française. Jusqu'au 10 du même mois, date à laquelle l'exode a pris fin, 45.000 hommes se sont présentés avec armes et bagages. De concert avec la garde mobile, nos agents les ont dépossédés de toutes les armes et munitions dont ils étaient détenteurs. Des stocks de matériel de guerre comprenant des mitrailleuses, des fusils-mitrailleurs, des fusils, des révolvers, des grenades et des munitions en quantité considérable ont été constitués au bureau de Cerbère-route, au poste du tunnel international, au M. G. V., en gare de Cerbère et remis à l'autorité militaire. Les agents de service à la route ont contrôlé le passage de 2.882 voitures et camions, 142 motos, 18 sidecars, 15 autos blindées et 7 tanks. Les services de patrouille ont battu le terrain pour la récupération du matériel de guerre abandonné en pleine montagne et la reconnaissance d'un nombreux bétail amené en France soit par les civils, soit par l'armée elle-même. 137 mulets, 369 chevaux, 1613 ovins et 25 bovins ont été décomptés. 3°) Les trains Espagnols se trouvant sur la ligne Barcelone-Cerbère, chargés de canons, munitions ou marchandises ont été refoulés en grande partie sur la gare de Cerbère. Tous ont été visités à fond. Tout ce qui n'a pas été reconnu matériel de guerre a fait l'objet d'une attention toute particulière de la part du Service. Les agents ont assisté à toutes les opérations de reconnaissance et de triage des marchandises. Celles des dites marchandises susceptibles d'être soumises aux droits ou tout au moins d'être présentées à l'examen du service de visite, ont été récupérées et placées sous la garde même de personnel. C'est ainsi qu'une quantité considérable de valises, caisses, malles, comprenant du matériel divers, de bicyclettes, machines à écrire, etc. ont été entreposées au quai D. Le service placé en surveillance sur les voies a contrôlé le transbordement des trois cent wagons de munitions et d'explosifs qui, après l'exode, ont fait planer pendant de longs jours, un sentiment de crainte sur la population Cerbérienne. Il est permis de penser que, dans cette opération délicate et dangereuse, l'expérience raisonnée des agents a peut être été d'une précieuse utilité aux jeunes soldats qui ont effectué le dit transbordement. Pendant 20 jours consécutifs, les agents de Cerbère, ayant à leur tête le lieutenant Mr Canal, ont fourni un effort considérable. Leur tâche a été souvent ingrate et difficile. Ils ont cependant eu le grand mérite de savoir allier aux exigences du métier et aux besoins du Trésor, des mesures de générosité et de bienveillance que réclamait impérieusement la présence d'enfants, de femmes, de vieillards, stigmatisant la souffrance, la misère, le deuil. Chacun a compris l'effort qui lui était demandé; tous ont rivalisé d'entrain et ont donné le meilleur d'eux-mêmes, sans souci des fatigues accrues par le fait même des événements vécus, pour mener à bien la mission qui leur était confiée. Leur action s'est développée, efficace, sans heurt et, tout en secourant une population affamée, ils ont su, sans mesure vexatoire, garantir les droits du Trésor. Si leur rôle a été de bienveillance et de bonté à l'égard des malheureux, il a été également de vigilance et de fermeté vis à vis de ceux qui ont recherché, à la faveur de l'exode, à se soustraire aux règlements douaniers. Les résultats obtenus pendant et après l'exode ont fait la preuve des qualités administratives qu'ils ont su démontrer. (*) Penthière n. f. • Zone de terrain dont une brigade des Douanes devait assurer la surveillance. |
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